Mandats illimités au CSE : la révolution silencieuse du dialogue social français
Depuis le 24 octobre 2025, une règle centrale du fonctionnement des CSE a disparu : la limitation à trois mandats successifs. Cette modification n’est pas issue d’un texte consacré au dialogue social, mais d’une loi dont la vocation première est tout autre : la loi n°2025-989, appelée « loi Seniors ». Son objectif principal porte sur l’emploi des plus de 55 ans, mais le législateur y a intégré, presque discrètement, une mesure qui transforme la structure même de la représentation du personnel.

Un changement immédiat, sans transition
À compter du 26 octobre 2025, la limite des trois mandats n’existe plus.
Aucune période transitoire, aucun cas particulier : la suppression est totale. Les élus arrivés au terme de leur troisième mandat peuvent se représenter immédiatement, quel que soit le cycle électoral en cours. Pour les entreprises, rien n’est à réorganiser : l’élection continue comme prévu, mais avec un vivier de candidats désormais élargi.
Pourquoi cette règle se retrouve dans la loi Seniors ?
L’intégration de cette mesure dans un texte portant sur l’emploi des seniors peut surprendre. Pourtant, l’enchaînement politique et social est cohérent. Depuis plusieurs années, les organisations syndicales critiquaient la limite des trois mandats, considérant qu’elle affaiblissait la capacité des élus à monter en compétence. L’Accord National Interprofessionnel du 14 novembre 2024 a alors explicitement recommandé de supprimer cette restriction, en soulignant que l’expérience acquise au fil des mandats est essentielle pour traiter des dossiers complexes. Le gouvernement a choisi de reprendre cette recommandation dans une loi déjà dédiée à la prolongation des carrières, en y ajoutant une logique : favoriser la transmission, la continuité et la reconnaissance de l’expertise, y compris dans les mandats représentatifs.
Une rupture nette avec 2017
Lorsque les ordonnances Macron avaient créé le CSE en 2017, la philosophie était opposée : éviter la « professionnalisation » du mandat. À l’époque, certains élus restaient en fonction pendant vingt ans. Dans les PME, le manque de candidats rendait parfois le renouvellement difficile. La limite de trois mandats était censée créer un souffle nouveau et encourager la participation de profils différents.
Huit ans plus tard, la perception évolue : le législateur considère désormais que l’expérience d’un élu n’est pas un problème mais une ressource. Les sujets traités par le CSE se sont complexifiés — restructurations, risques psychosociaux, transformations stratégiques, enjeux environnementaux — et l’apprentissage de ces thèmes exige du temps. La réforme acte ce changement de paradigme : la stabilité est jugée plus utile que le renouvellement à tout prix.
L’expérience au centre du dispositif
Dans de nombreux CSE, la réalité du terrain montre que les élus montent réellement en compétence après plusieurs années de mandat. Ils comprennent mieux les comptes, maîtrisent les procédures, anticipent les évolutions organisationnelles et développent une relation plus mature avec la direction. Cette continuité facilite parfois la résolution de conflits et améliore la qualité des échanges.
Mais cette logique n’est pas sans limites. Un CSE très stable peut devenir moins ouvert à de nouveaux entrants. Les habitudes s’installent, la dynamique se fige, et certains salariés plus jeunes peuvent avoir du mal à s’imaginer prendre la relève. Le risque n’est pas juridique : il est culturel. La représentation peut refléter davantage l’histoire du CSE que la diversité des générations présentes dans l’entreprise.
La réforme ne règle donc pas tous les enjeux. Elle renforce l’expertise, mais oblige les acteurs à organiser eux-mêmes le renouvellement, sans y être contraints par la loi.
Ce que cela implique pour les entreprises
Pour les directions, cette suppression a des effets ambivalents. D’un côté, la continuité des interlocuteurs est un avantage. Les discussions deviennent plus efficaces quand l’élu en face connaît le fonctionnement de l’entreprise, son contexte économique, ses cycles d’activité ou ses tensions internes. Moins de renouvellement signifie moins de formation à refaire, moins de rappels sur les dossiers déjà traités et plus de stabilité dans le dialogue social.
D’un autre côté, une relation trop stable peut s’installer dans une forme de routine. La qualité d’un dialogue social ne repose pas uniquement sur l’expérience : elle dépend aussi de la capacité collective à se remettre en question. Des élus qui restent longtemps peuvent parfois constituer une barrière symbolique à l’arrivée de nouveaux talents, ce qui freine la dynamique et, dans certains cas, nourrit un sentiment d’entre-soi.
Face à ces risques, les services RH doivent anticiper. La première étape consiste à mettre à jour tous les documents internes : protocole d’accord préélectoral (PAP), notes RH, brochures d’information, supports de formation. Toute référence à la limitation des mandats doit disparaître, car elle n’a plus de valeur juridique.
Vient ensuite un enjeu de compétences. Si les mandats deviennent potentiellement plus longs, les attentes envers les élus augmentent. Les entreprises doivent donc proposer un accompagnement plus solide : formations juridiques et économiques plus poussées, dispositifs d’intégration pour les nouveaux élus, outils pour suivre les mandats au long cours.
Enfin, un travail de veille interne est indispensable. Les RH doivent suivre la participation aux élections, le renouvellement effectif des profils, la diversité des candidats et l’ouverture d’esprit au sein du CSE. La loi ne pousse plus au renouvellement : ce sont les entreprises et les organisations syndicales qui doivent désormais encourager un équilibre entre anciens et nouveaux.
Et pour les organisations syndicales ?
Les syndicats sortent gagnants de cette réforme. Ils peuvent désormais construire de véritables parcours militants. Ils ne risquent plus de perdre soudainement un élu très compétent uniquement en raison d’une limite légale. Ils renforcent aussi leur capacité à désigner des délégués syndicaux expérimentés, mieux armés pour négocier.
Mais cette victoire s’accompagne d’une responsabilité.
Un risque existe : celui de décourager les salariés qui souhaiteraient s’engager mais se sentent face à des équipes installées depuis longtemps.
Si les syndicats veulent tirer le meilleur de la réforme, ils doivent
mieux organiser la relève :
former les jeunes militants,
instaurer du mentorat
entre élus expérimentés et nouveaux, diversifier les profils présentés aux élections et utiliser des
outils d'aides aux membres du CSE.
La suppression de la limite n’empêche pas le renouvellement : elle oblige simplement à le penser différemment.
Les actions à mener immédiatement
Pour les entreprises et les RH, les premières obligations sont simples : mise à jour des documents, information claire des salariés et adaptation des supports électoraux.
Un message bref suffit à éviter les incompréhensions : la possibilité de se représenter sans limite n’oblige personne à le faire.
La vraie transformation, en revanche, se joue dans la durée. Les mandats peuvent maintenant s’étendre sur dix ans, quinze ans ou plus. Cela impose de revoir l’accompagnement des élus, d’actualiser leurs compétences régulièrement, de prévenir le risque d’essoufflement et de garantir que la représentativité du CSE reste le reflet de l’entreprise.
Le résumé en une infographie :

Une entreprise peut-elle rétablir une limite dans le PAP ?
Non. Une disposition locale ne peut pas contredire la loi.
La suppression concerne-t-elle les suppléants ?
Oui, l’ensemble des élus sans distinction.
Faut-il organiser de nouvelles élections lorsque quelqu’un dépasse trois mandats ?
Non. Rien ne change dans l’organisation du cycle électoral.
Le nombre d’heures de délégation est-il modifié ?
Non. La réforme ne touche pas ce point.
Comment maintenir un renouvellement des profils si les mandats deviennent illimités ?
Par la communication interne, le mentorat, les actions syndicales et une démarche proactive des RH.




